On y voit des nuages (l'échelle n'est pas indiqué, mais c'est grand, pris d'un satellite. Voir fin de l'article pour les références exactes). Mais pas n'importe comment les nuages !
Pour le "pas n'importe lesquels", je vous contredirais : il est probable par contre qu'ils soient comme les autres, fait de particules d'eau.
Par contre, ils sont arrangés de manière assez intéressante. Si vous regardez bien l'image précédente, vous voyez ce que les physiciens appellent une allée de Van Karman. Qui est là :
Deux choses m'intéressent :
- Qu'est-ce que cette allée de Von Karman ? Qu'est-ce qu'elle signifie ?
- Pourquoi est-ce qu'on peut la voir dans les nuages ?
Je vais commencer par la seconde question.
Pourquoi les nuages seraient-ils de bons marqueurs pour des phénomènes de mécanique des fluides ? (à l'échelle planétaire, évidemment)
Et bien, tout simplement parce que la taille des gouttelettes, et leur existence, dépend des conditions de pression, de température, et de frottements ! Donc une zone à pression plus forte (dans l'atmosphère, plus basse, par exemple), aura plus de particules pour les mêmes conditions, une zone avec plus de mouvements de donc plus de frottements, aura des particules plus fines et potentiellement plus instables. C'est surtout l'idée de la relation entre tailles des particules et mouvements qui est intéressant : plus la zone sera soumise à des différentiels de vitesses, plus les particules seront fines. Et si elles sont trop fines, elles seront instables et repasseront entièrement en phase gazeuse. Donc pour des mêmes conditions de pression, de température, comme ici, on peut penser que les zones les moins nuageuses seront les zones les plus soumises à des frottements ou de la turbulence à "petite" échelle !
Reprenons la première question : qu'est-ce qu'une allée de Von Karman ? L'autre question pourrait être, pourquoi ais-je dessiné un rond noir en haut ?
Imaginez un couloir dans lequel on injecte de l'air bien parallèle. On parle de flux laminaire et on le dessine comme ça :
J'ai dessiné ce qu'on appelle les lignes de courant. Grosso modo, dans ce cas, c'est à la fois la trajectoire qu'aurait une particule si elle était injectée en haut, et aussi les lignes qui sont en tout point parallèles aux vecteurs vitesses (ok, d'une manière générale, cette définition est fausse, hein)
Que se passe-t-il si on met un cylindre dans le fond ? Disons, un cylindre qui fasse toute la hauteur du couloir. Et que si on regarde "par dessus", on voit ça :
Mais là, je vous ai déjà mis les lignes de courant. Sauf que c'est le cas facile. Le cas idéal. Le courant est faible, on est dans un laboratoire, la vie est belle et rien n'est turbulent. (on continue donc à parler de zone laminaire).
Alors que la plupart du cas, on aura plutôt ça :
Le fluide va trop vite, ça devient donc turbulent...
Mais dans certains cas, quand on est à la limite entre les deux, on voit apparaître une instabilité très jolie, qui, vous l'aurez deviné, s'appelle donc les rouleaux de Von Karman... Qui donnerait ça avec les mêmes petits schémas tous mignons :
Donc si on reprends la première photo, qu'est-ce que cela veut dire ?
Et bien qu'il y a un flux d'air venant du nord, très calme, et qui rencontre un "cylindre" : une île qui ressort à 2,2km au dessus de la surface de l'eau (données NASA justement) et qui fait obstacle à ce flux d'air.
À partir de ça, et sachant en plus que la présence de l'instabilité des rouleaux de Von Karman dépend d'un nombre sans dimension caractéristique du flux d'air, qui est le nombre de Reynolds, les scientifiques peuvent en déduire des caractéristiques du flux d'air. Globalement, le nombre de Reynolds dépend de la vitesse moyenne, de la taille caractéristique de l'objet (la largeur), de la viscosité de l'air. Bon, il nous manque à nous un peu de ces grandeurs pour proposer la vitesse du vent, mais cela vous donne une bonne idée de comment on fait...
Et en laboratoire, pour voir ce que cela donne, il suffit de taper Von Karman sous Google, et vous trouverez de jolies images comme celles-là :
(cours de l'ESPCI)
L'image initiale vient donc évidemment d'ici : http://earthobservatory.nasa.gov/NaturalHazards/view.php?id=77654